Haïti-Réflexions : La jeunesse ramassera le drapeau
Par Me Sonet St Louis, avocat et Professeur de Droit constitutionnel
La gente universitaire depuis quelques semaines s'est mise debout, bien décidée à renverser le mur de l'arbitraire et de l'intolérance qui empêche le fonctionnement l'État de droit et des institutions responsables de sa mise en œuvre. Ces jeunes sont conscients qu'ils sont détenteurs de droits dans cette république. Leur conscience s'est réveillée. C'est pourquoi la bataille pour libérer le pays du mal, pour renverser le système qui nous rend indigne, est proche et irréversible. Toute conscience est d'abord conscience de soi. La conscience des âmes damnées se réveille voyant que leur espoir part chaque jour en fumée et leur avenir, barricadé.
Ce qui se passe dans les facultés, dans les écoles publiques, dans les milieux défavorisés en proie aux violences officiellement organisées, témoigne d’une prise de conscience de la violence du système régnant. Le mécontentement grossit à travers le pays et ne tardera pas à se muer en une révolte générale. Il ne fait aucun doute que les étudiants veulent aussi marquer cette étape, prendre une part active à cet événement historique. Ils conscientisent. Ils veulent se battre pour renverser le mur de l'oppression. Ils cherchent des idées, une direction précise et claire, des voix fortes, légitimes et responsables.
Gens du savoir et de l'avoir, ne restez pas indifférents aux cris de ces étudiants et de ce peuple aux lèvres desséchées qui revendique son droit au bonheur et qui refuse héroïquement et constamment que son rêve soit constamment détruit par d'autres !Occulter l'abandon d'une population en détresse est un silence coupable. Il traduit le rejet de l'Autre uniquement parce qu'il n'est pas des nôtres. Osons rêver de démocratie, d'État de droit ! Faisons bloc pour construire ensemble la démocratie, une société pour tous !
En se mettant en ordre de combat contre ce régime inique, les étudiants cherchent l'Esprit du peuple meurtri et veulent se conformer à ses aspirations. Ces mouvements, qui s'intensifient et qui se généralisent dans le pays, constituent une étape vers la consécration du but ultime dans la marche de l'Histoire. Dans la quête de l’Esprit de ce peuple qui ne peut disparaître ni être banni, ne sont intelligents dans ce moment crucial et historique que ceux qui se conduisent selon sa volonté. Alors, mettons fin aux différences claniques, aux égoïsmes et à la haine ! Personne n'est maître de l'histoire. Chaque époque a son Esprit propre.
À la faveur du mouvement étudiant, la flamme de la révolte est rallumée, donc un consensus peut être trouvé autour d'une unité d'action. Me Monferrier Dorval ne pourra pas trouver justice et les assassins et les auteurs d'autres crimes graves contre l'Humain ne seront pas poursuivis et jugés tant que le régime actuel, complice de ces atrocités, reste encore en place. C'est malheureusement une vérité que personne ne peut balayer. Il faut mettre fin au pouvoir actuel pour que l'État de droit revienne ! La justice, l'école et l'université sont liées à ce système en décomposition. Une école de qualité, par exemple, ne peut être efficace que si les conditions matérielles des enseignants sont optimales ainsi que la qualité de l'enseignement en général. Toute chose qui n’existe pas pour l’instant. On peut rien trouver de bon dans ce système. Ce mouvement étudiant est un grand mouvement civique qui doit rencontrer l'adhésion du peuple et des différents secteurs de la société pour mettre fin au système actuel.
Les appels de la communauté internationale aux autorités pour l’organisation d’élections législatives au début de 2021 ne sont que distraction perverse. Tout se passe comme si le « Core Group » interprétait à sa manière notre Constitution et qu’il voulait aider le Président Jovenel Moïse à rester au-delà de son mandat constitutionnel qui prendra fin le 7 février 2021. Liés à la défaillance de la gouvernance actuelle, ces étrangers, étrangers à notre système, sont incapables de sortir le pays de ce bourbier. Dans leur entêtement à soutenir le gouvernement en place malgré tous les faux-pas et les crimes non élucidés, beaucoup d’Haïtiens sont persuadés que les intérêts de la communauté internationale sont liés à la continuité du régime en place.
La solution, c'est la radicalité pour faire émerger un nouveau projet politique, social et économique. La violence du système actuel n'épargnera personne. Le système détruit les institutions ainsi que les ressources humaines. La fréquence des massacres, des meurtres, des viols et des violations des droits de la personne atteint des niveaux jamais observés dans le pays.
Cette incapacité du gouvernement à freiner les actes criminels des groupes armés qui lui sont affiliés et à engager les poursuites contre eux, justifie une réponse urgente de la société. Car l’État de droit est en déroute, la justice n'existe plus. La justice a pour fonction fondamentale de corriger les injustices, de servir le peuple et non le dominer. Le droit est d'abord celui du peuple et il ne saurait être dirigé contre lui. Les juges assujettis à l'Exécutif n'ont aucune autorité et ni de légitimité pour juger pour le peuple. Les citoyens ne croient pas que le système judiciaire haïtien puisse assurer et garantir efficacement les libertés et les droits fondamentaux auxquels ils peuvent prétendre. L'absence de confiance des citoyens dans le système de justice, détruit tout et met fin à tout. Donc, pour inverser cette tendance, il faut un nouveau contrat.
Le président Moïse perd la capacité de gouverner. Les citoyens sont victimes de la faillite de l’État. C'est une vérité de la Palisse que le gouvernement actuel est incapable de gouverner le pays. On peut pas lui demander de prendre des mesures pour améliorer la gouvernance du pays. Il ne peut pas tout simplement. Il ne peut pas garantir la sécurité publique pour ses citoyens. Il se crée un vide dans lequel sont venues s'engouffrer de plus en plus la criminalité organisée et la fédération des gangs armés. Ces conditions créées par le régime en place contribuent à l'accroissement des massacres, des meurtres, des viols, des vols et à l'impunité générale face aux crimes graves et aux violations des droits de la personne. Pour le salut de la patrie, l’actuel Chef de l’État ne peut que se démettre pour éviter la continuation de l'horreur.
Sur le plan institutionnel, le régime a montré son incompétence. Par exemple, la Chambre des députés a cessé d'exister depuis le deuxième lundi de janvier 2020 en raison du refus du pouvoir d'organiser des élections pour la renouveler (192-2). La même constatation est faite pour le Sénat amputé de deux tiers (art 95-1 de la Constitution) et qui est dans l’incapacité de travailler correctement. Selon la Constitution, les élections présidentielles devraient avoir lieu en octobre 2020, l'année qui coïncide avec la cinquième année du mandat présidentiel. ( Art. 134- 2, 284-2).
Au-delà de cette crise politique et institutionnelle dans laquelle le Président s'enlise, son pouvoir fait face à une crise sociale et économique qui menace de tout emporter. Dans ces conditions, le régime de Jovenel Moise ne peut être que foncièrement répressif. Le coût de cette répression cependant sera lourde, car aucun des idéologues du régime ne réalise pas la gravité de la situation et ne semble pas avoir non plus la capacité de comprendre qu'on avance vers la fin de quelque chose. C'est de l'irresponsabilité et de l'ignorance avérée si le Président persiste à croire qu'il peut convoquer une Assemblée constituante pour changer la Constitution sur laquelle il a juré de respecter et de faire respecter. S'il veut aller dans cette voie, il devient automatiquement démissionnaire et doit céder le pouvoir ou faire un coup d'État pour imposer une nouvelle Constitution, comme l’a expliqué Dr. Chery Blair.
La consolidation de l’État de droit et de la démocratie ne peut avoir lieu si la justice et la sécurité ne sont pas assurées et si les gouvernants n'acceptent pas de se soumettre au droit et à la loi au même titre que les citoyens. La communauté internationale et l'oligarchie locale qui soutiennent le pouvoir en place, doivent enfin réaliser que l'échec est colossal et sans appel. Le temps du Président Moïse s'épuise dans les erreurs grossières, des fautes graves, qui le feront subir en silence le châtiment de l'Histoire. Aucun Président ne peut pas intervenir dans un temps qui n'existe plus.
Le principe de l'unicité de la règle de droit ainsi que celui de l'égalité des citoyens devant la loi consacré par l'article 18 de notre Constitution et qui domine notre système juridique national interdit le Président de contourner la loi en sa faveur en devenant l'interprète de sa propre cause. La primauté du temps constitutionnel sur le temps électoral doit être la règle partagée par tous. C'est la justification de l'État de droit. Elle est valable pour les sénateurs dont le mandat était arrivé à terme en janvier 2020 et aussi bien pour le Président dont le sien prendra fin le 7 février 2021.
La volonté d’un Chef d’État ne peut se substituer à la souveraineté nationale, l'unique vérité, tout le reste n'étant que fantasmes. Et lorsque son temps aura totalement suspendu son vol au temps prévu, la Jeunesse ramassera le drapeau non pour régler des comptes mais pour empêcher que les tyrans et les génocidaires continuent de manger son rêve.
"Ann ramase drapo a"
Me Sonet Saint- Louis av
Professeur de droit constitutionnel
Faculté de droit
13 septembre 2020
Tel 37368310
sonet43@hotmail.com